15 janvier 2024 AM- Je n’ai pas encore ôté mes mitaines que Bernard me dit qu’on part sur le champ porter un autobus à un garage de Mont-Tremblant qui se spécialise dans les alignements de roues. Bref, je conduis l’autobus à réparer, Bernard me devance, il va me ramener. J’entre l’adresse sur le GPS de mon téléphone, j’arrive à Tremblant, me trompe de garage, rectifie l’itinéraire, arrive au bon endroit, Bernard a eu le temps de discuter avec le responsable, finalement je vais rester sur place le temps de l’opération. Ça me laisse le temps de boire deux trois cafés quasi potables dans le lobby de l’endroit en regardant des dépliants qui expliquent le fonctionnement d’un cardan, de la bonne façon de faire la rotation des pneus et de l’importance d’un bon alignement. Je demande au type à l'accueil s'ils réalignent également les chakras. Pas de réaction, même pas l’ombre d’un sourire. Ça m’apprendra de vouloir rouler des mécaniques.
PM- Comme il tombe une petite neige, je reviens au garage un peu à l’avance, mais encore là, pas le temps de déboutonner mon manteau que je dois partir en catastrophe remplacer un chauffeur qui a dû s'absenter. Le circuit part d’une école primaire de Saint-Sauveur pour aller à Wentworth-Nord.
Où ? Dis-je calmement empli de stress, essayant de rentrer le nom de ce bled sur mon téléphone.
Tu vas voir c’est simple me dit Bernard en me montrant sur l’écran de son ordi l’emplacement de l’école et en me filant les feuilles gauches-droite du circuit que je n’aurai définitivement pas le temps de consulter. Prends l’autobus #2215, faut que tu sois à Saint-Sauveur dans une demi-heure.
Engagez-vous qu’ils disaient ! Je fais rapidement la ronde de sécurité, m’assure qu’il y a assez de liquide lave-glace et de carburant et me met en direction de l’école. Heureusement, le véhicule est celui que j’ai conduit lors de ma formation. Je sais où se trouvent les boutons de contrôles et comment il réagit sur la route. C’est déjà ça de pris.
J’arrive dans le stationnement de l’école où de toute évidence j’arrive bon dernier. Sur la radio ondes-courte (Cibi pour les initiés) une voix me dit où il faut que je recule pour attendre les enfants qui commencent à sortir de l’école. Je me reprends une fois et une autre pour faire la manœuvre mais mon manque d’expérience est évident et un gros type barbu sort d’un autobus parqué à côté et me fait signe de lui céder ma place.
Salut moé c’est Ulysse ! Me dit il en reculant le véhicule à sa place. J’ai déjà entendu son nom circuler sur les ondes, c’est le responsable de la section Piedmont de la compagnie et pas besoin de se faire faire un dessin (ou de lire un roman) pour voir qu’il a beaucoup voyagé.
Juste le temps de se serrer la pince, les enfants arrivent, il part de son côté, je tente encore de voir sur la carte où se trouve Wentworth et quelle route je vais prendre pour m’y rendre. Toute une odyssée en perspective.
Je salue les enfants qui montent dans l’autobus. Ils me dévisagent surpris que ce ne soit pas leur chauffeur habituel. J’ai droit à quelques “T’es qui ?” et à des “ Yé où monsieur Robert?” Ça ne prend pas 2 secondes pour que le niveau sonore rajoute une couche à mon énervement déjà bien installé. Parmi les enfants qui continuent de monter je repère une grande qui doit être en sixième année. Je lui souris, lui demande son nom et lui demande si elle veut bien m’aider pour le parcours.
Ben oui pas de problème monsieur ! Dit Eugénie, ma nouvelle meilleure amie.
Faque nous voilà parti vers ces contrées inexplorées. Je me concentre sur la route d'autant plus qu’il y a toujours cette petite neigette fatigante qui continue de tomber. Derrière c’est le cirque. Ça se chamaille, ça se lance des boules de papier. J’en vois un qui se balance agrippé au porte-bagages. Évidemment deux-trois autres l’imitent. Quelques autres grignotent des trucs alors que c’est interdit. Ils en profitent bien de ce chauffeur remplaçant qui ne semble pas vouloir faire de discipline.
En fait, je reste focus sur ces chemins qui deviennent de plus en plus étroits, tortueux et passablement glissants. Y’a des montées et descentes qui nécessitent toute mon attention. Eugénie est géniale. Elle m’indique avec brio où je dois déposer les premiers élèves. Lorsqu’elle doit sortir à son tour, les suivants prennent la relève. C’est dans leur intérêt, ils ont tous hâte d’arriver à la maison. Moi aussi j’ai hâte de finir ce circuit, d'autant plus que le crépuscule commence à prendre place. En général, j’arrive à gérer le stress assez bien. Mes années taxi m’en ont fait voir de toutes les couleurs. Mais là, ces chemins, dans ces conditions avec cette précieuse cargaison, bonjour la tension.
À la toute fin du parcours, me restent deux petites sœurs. Emma sept ans et Romy cinq ans. Malgré ça, elles n’ont aucune difficulté à me montrer la voie vers leur petit bout de rue perdu. Tourne ici ! Me dit Romy. Tourne là! Me dit Emma. Lorsque je tourne enfin sur cet ultime chemin, je vois apparaître dans les clairières une dizaine de chevreuils qui regardent tous ce gros truc jaune, s’introduire dans leur paysage. Le troupeau ne s’énerve pas du tout lorsque je m’arrête pour faire sortir les fillettes qui s'éloignent vers leur maison en m'envoyant la main.
Je reste un moment sur place pour observer ces bêtes magnifiques dans leur environnement. L’autobus est enfin vide. Je pousse un grand OUF ! de soulagement. Le stress tombe lentement. La noirceur rapidement. Je rebrousse chemin fatigué mais content en pensant à ces belles petites bêtes lumineuses.
Ça prend une bonne dose de courage toutes ces routes sinueuses (là, j'ai des réminiscences de mes récentes randonnées en Toscane). En tout cas, je vous trouve pas mal hardi pour conduire ce genre de monstres jaunes avec pleins de ... petits êtres charmants (pris individuellement). Quelle épopée ! En tout cas, bonne chance pour le reste ! Vous avez toujours une aussi bonne plume.
RépondreEffacerLe texte précédent devait être signé : Gilles Mador
EffacerMerci cher Gilles. Toujours un plaisir de vous lire.
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