dimanche 24 mars 2024

Réal, Léa, les autres et moi

Les yeux pas tout à fait dans les mêmes trous, je me retrouve à cinq heures et demie du mat au garage où Réal m'attend en compagnie de son autobus fraîchement réchauffé. Je l’accompagne pour me familiariser à son circuit qui débute à Val-des-Lacs et qui se termine dans le stationnement d’une école spécialisée de Saint-Jérôme. Une dizaine d’élèves allant de 5 à 18 ans atteints de handicaps variés feront partie du voyage. Attachez vos ceintures. 


Tu vas voir c’est facile dit Réal en montant dans l’autobus.

On m’a dit exactement la même chose à chaque remplacement que j’ai fait jusqu’à maintenant. Oui, c’est sans doute vrai que c’est facile lorsque tu connais ton trajet et que tu l’effectues jour après jour depuis des mois voire des années. Pour le moment, je ne vois rien de simple. J’ai mal dormi, il fait encore noir comme le poêle et il est juste trop de bonne heure pour que mes neurones soient pleinement au rendez-vous. 

Réal part bientôt un mois au Brésil, son pays d’origine. Son attitude décontractée, hyper relaxe et détendue me laisse imaginer qu’il a une génétique de quelqu’un qui a grandi, étendu sur une plage au soleil dans le précieux et précis bruit des vagues. Pas achalé le gars. D’ailleurs, ça fait 20 minutes qu’il suit un camion chasse-neige sur le chemin où se trouve quelques kilomètres plus loin, le premier arrêt. Le camion lui laisse plusieurs fois le passage pour qu’il puisse le dépasser, mais Réal reste derrière, pas pressé pantoute. C’est vrai qu’avec la petite neige qui tombe c’est probablement plus sécuritaire. Personnellement, j’aurais dépassé le camion depuis longtemps.

Ça nous laisse le temps de faire connaissance, de jaser de son voyage, de parler d’un peu de tout et de beaucoup de rien, de son circuit super facile, de ses élèves, de sa famille, du camion en avant, de ses vacances qui s’en viennent, enfin bref. Je l’écoute en pensant que j’aurais dû m'apporter un autre café. Je regarde le parcours sur mon téléphone, encore trois kilomètres à faire, on est déjà 15 minutes en retard. Réal reste relaxe. C’est clair que ce type va vivre vieux.   

10 minutes plus tard, l’autobus s’arrête devant une maison où brillent (encore, deux mois trop tard) des milliers de lumières de Noël. C’est presque féérique. En contre-jour de cette saturation lumineuse approche un homme tenant par la main un petit être qui titube. C’est Léa, une charmante fillette qui (je l’ignore à ce moment) va lentement me rendre fou. 

Allo Réal ! Ça va ? dit Léa. Allo, Léa, oui ça va ! répond Réal. Ça va? Ajoute Léa. Oui ça va!  répète Réal. Léa pousse un joli éclat de rire et dit : allo, Réal, ça va? Oui Léa, ça va. Ça va? Redemande Léa. Oui ça va! Re-répète Réal.  Léa rit et re-re-répète encore ses salutations. Pas de doute que Réal va super bien rendu là. Mais pour en être absolument certain, il dit : Oui Léa. Ça va.   

Pendant ce temps, le papa s’affaire à attacher Léa à la banquette qui est équipée de sangles. Trois ou quatre élèves vont être attachés de cette manière.  Soit pour les soutenir, soit pour les retenir. J’apprendrai d’un confrère qui fait également un parcours d’enfants handicapés qu’un de ses jeunes passagers s’est un jour levé dans l’autobus en plein milieu de l’autoroute 15 et a presque ouvert la porte de secours derrière ! Ils ont beau être attachants, mieux vaut les attacher.

Léa, une fois rassuré du bien être de Réal demande, c’est qui le monsieur?

Allo Léa, moi c’est Léon. Je vais remplacer Réal la semaine prochaine.

Allo, Léon, ça va? 

Oui ça va. 

Ça va Léon?

Oui oui ça va super et toi? 

Rires de Léa.

Ça va bien et toi ça va?  [ X 3 ]

Le rire de Léa est super craquant. Deux grands yeux ronds tels des noisettes règnent sur une tête beaucoup trop grande pour son corps. Je n’arrive pas à deviner quel âge elle peut avoir. Ce n’est pas important pour moi de savoir non plus de quel handicap elle est atteinte. Je vois juste une fillette souriante de bonne humeur qui à l’entendre va très très très très bien !

Il faut quand même le souligner. Elle est super heureuse de se lever avant les poules pour aller à l’école qui se trouve à plus de deux heures ( en calculant les arrêts) de chez elle. Ça relativise pas mal mon propre malheur matinal. 

Faque c’est dans la bienveillante compréhension de Léa de savoir que tout le monde va bien que nous reprenons la route dans le sens inverse pour aller quérir le prochain élève. Je regarde ma feuille de gauche/droite. Facile. On prend la 329, on embarque sur l’autoroute des Laurentides direction sud (anyway elle ne va pas plus au nord rendu là) et nous sortons à la sortie Sainte-Agathe pour nous rendre pas tellement loin. Réal se souvient alors que Nathan n’est pas là ce matin. Ça me permet quand même de noter la rue escarpée où il habite. Il faut attendre Nathan sur la rue perpendiculaire en bas de cette côte casse-gueule surtout lorsqu’on est en fauteuil roulant.

Prochain arrêt. Antoine à Val-David.  Réal me dit que c’est un enfant qui ne parle pas et qui est toujours très tranquille. Et bien ce jour-là, il a hurlé tout le long du trajet en tentant sans succès de se détacher de son harnais. Assis sur la banquette adjacente à la sienne, j'ai assisté à ses vaines tentatives d’évasion. N’est pas Houdini qui veut. Curieusement, entre ses cris, il se mettait aussi souvent à rire. Je me demande encore s’il avait du plaisir ou pas. Antoine restera une énigme. Autre caractéristique d’Antoine, il ôte ses vêtements. Dès que l’autobus part de chez lui, la tuque revole. Vient ensuite, les bottes et les bas. Rares seront les jours où il n’arrivera pas à l’école pieds nus. Au moins, il a du fun. Je pense. 

Ensuite quelque part entre Val-Morin et Sainte-Adèle dans un secteur qui a l’air d’une petite banlieue, montent à bord accompagné de leur maman, Clara et son grand frère Carl. Ce dernier, le plus vieux du groupe, a déjà du poil au menton. Il reste toutefois un petit enfant en dedans. Il a un visage un peu de travers et un regard triste.  Les deux vont s’asseoir côte à côte et entamer une conversation animée et bruyante dans une langue qui leur est propre. J’arrivais à comprendre quelques mots de la cadette, mais jamais je ne suis arrivé (du moins cette première journée) à comprendre ce qu’ils pouvaient bien se dire, et ce même si leur dialogue relevait plus du cri que du chuchotement. 

Le prochain arrêt se trouve dans le stationnement d’une épicerie du village de Sainte-Adèle. Nous rejoignons Michel, un chauffeur de taxi du coin qui a quelques contrats de la commission scolaire pour aller chercher des élèves où les autobus ne peuvent se rendre. Chemins exigus ou trop pentus, j’le sais tu? Il nous transfère Logan qui arrive toujours avec un jouet robot/transformer et un sourire à faire fondre le Groenland. Lui non plus ne dit pas un mot et malgré son sourire, il faut le surveiller, c’est un sournois. Il a sa place à lui tout seul et attention il pince ! Faut pas trop l’achaler même s’il ne se gêne pas pour embêter les autres, surtout Léa qui veut mettre la main sur son robot. Logan lui passe le jouet sous le nez et s’amuse aux dépens de la gamine qui change son leitmotiv. Elle répète : Logan donne le robot. Logan donne le robot, Logan donne le robot. Logan finit parfois par se tanner et lui donne son robot. Jamais bien longtemps. 

Le circuit fait ensuite un bon détour en direction de Sainte-Marguerite du lac Masson où se trouve un bambin en fauteuil. Bien emmitouflé dans son capuchon, c’est dur de dire si c’est un petit garçon ou une petite fille. Un petit visage tout rond accompagné d’un petit filet de bave s’échappant d’un sourire. Même si son regard est un peu hors champ, il est vraiment trop cute ce minuscule Noa (c’est un garçon). Réal qui bloque le trafic dans les deux directions sur cette route plutôt passante m’initie lentement au fonctionnement de la rampe et des attaches de fixation pour le fauteuil. OK Réal c’est bon, y’a 25 autos de chaque côté qui attendent. Ça en prend pas mal plus pour l’énerver. 

Nous revenons à Sainte-Adèle et poursuivons notre périple vers le sud. Nous tournons dans un secteur de côtes et de vallons pour aller chercher Gabriel et Zack, deux jeunes ados qui habitent une maison d'accueil. Zack, trisomique, se déplace difficilement et vient s’asseoir à côté de moi sur la banquette avant. Je lui dis allo, il me salue d’un bruit guttural qui finit aussi en O. Il ne semble pas s’en faire avec la vie, pendant les trajets, il dessine des dessins dans le châssis à côté de lui. Gabriel pour sa part est une bombe d’énergie et d’une curiosité insatiable. Pas de doute, c’est le king de l’autobus. Tout le monde le salue, il répond à tout le monde, il me salue, il veut savoir qui je suis, d’où je viens, c’est un moulin à parole et il bouge de l’air. Réal qui conduit ces enfants depuis des années me dira qu’au tout début, Gabriel était un enfant qui ne disait pas un mot. J’imagine qu’il reprend le temps perdu. Même Léa n’arrive pas à le suivre, c’est dire !

Dernier arrêt avant de se diriger vers l’école. Saint-Sauveur, un autre transfert qui se fait dans un des stationnements des “Factories” les magasins colorés que l’on voit sur le bord de l’autoroute. Carole nous y attend déjà depuis plusieurs minutes. Son impatience est manifeste et elle reste glaciale à mes salutations. Elle aide un grand garçon filiforme à sortir de sa berline. Nicolas porte un casque de ski et  slalome habilement entre les banquettes pour trouver son siège où Réal va le sangler. Il me montre comment le faire, mais c’est un système qui me prendra quelques voyages à intégrer adéquatement. Habituellement, une autre élève accompagne Nicolas à cet arrêt et Léa manifeste sa tristesse de ne pas voir Rosalie ce jour-là. 

Elle n’est pas là Rosalie ? répète-t-elle encore et encore.

Non ! dit Réal.

Non ! dit Gabriel.

Non ! dit Clara.

Mais non ! dit Nicolas.

Argh ! Hurle Antoine.

Elle n’est pas là Rosalie redemande Léa ?

NON LÉA ! ELLE N’EST PAS LÀ ROSALIE ! Gueule Gabriel excédé. Nicolas le nouveau passager s’affirme en répétant son prénom d’une voix grave et dans différentes tonalités. C’est un ado de peu de mots. Comme tous les ados finalement. Antoine continue de rugir et Léa toujours dans un mode rieur repose encore et encore les mêmes questions. Tout à coup, Clara qu’on entendait plus depuis un moment décide de beugler une chansonnette. Je devine un air tiré d’un film de Walt Disney. C’est comment dire? Insupportable ! La Castafiore a des croûtes à manger afin de parvenir à ce degré d’inaudibilité. 

Dans cette cacophonie improbable, j’observe ces passagers et me demande si je suis au bon endroit, au bon moment. Dans cet instant de doute, mon regard se pose sur le petit Noa attaché dans son fauteuil dans le fond de l’autobus. Malgré son regard flou et les filets de bave qui continuent de lui couler sur le menton, le sourire qui lui éclaire le visage à ce moment-là ne peut pas être plus parfait. Ce petit être fragile que la vie n’a pas gâté exprime son bonheur en agitant la tête et les bras. Je ne peux m’empêcher de sourire à mon tour.

Je regarde ensuite Réal, toujours pas achalé par le bordel qui se déroule derrière lui. 

Tu vas voir c’est facile !  me dit-il une autre fois. 

J’ai ben hâte de voir ça ! J’ai ben hâte de voir ça ! 


[ À suivre… ]


dimanche 17 mars 2024

Lève-tôt

         Longtemps, je me suis couché tard. 

        Enfant, je me levais constamment après qu’on m’ait mis au lit. Toutes les raisons étaient bonnes pour veiller. J’épiais tout ce qui se passait dans la maison. Caché dans un racoin, à défaut de la voir, j’écoutais la télé ou la visite quand il y en avait.  Un peu plus tard, je me souviens des soirées sous les draps à écouter sur un radio-transistor à l’aide d’une oreillette de la musique ou des lignes ouvertes. Je me souviens aussi de cette minuscule lampe de poche que je cachais pour lire mes premières bd, mes premiers vrais romans et tout ce qui me tombait sous la main. Les nuits blanches que j’ai passé depuis à vouloir terminer tel ou tel livre sont innombrables.

        Pendant mes études, j’étudiais et rédigeais mes travaux tard le soir lorsque tout le monde était couché et que le calme régnait dans la maison familiale. Je me suis toujours senti bien la nuit. J’ai toujours eu un lien privilégié avec elle.  

        Lors de mes “années punk”, la fermeture des bars n’était qu’un hiatus dans la poursuite de la nuit. Il n’y avait peu ou pas de limite dans ce mode de vie No Future. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ? Yeah right ! 

        Avec le temps, j’ai emprunté pas mal de chemins tortueux (je vous fais grâce des détails) mais ce n’est pas tellement surprenant que je me sois retrouvé (à plein d'égards) chauffeur de taxi de nuit. Durant ces déambulations nocturnes, à côtoyer l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau et de plus horrible, j’ai appris à mieux connaître qui j’étais, à mieux savoir ce que je voulais. Délicatement, j'ai laissé entrer un peu plus de lumière dans ma vie. Celle du jour et celle de l’amour. 


Il ne fallait pas avoir peur de perdre le nord pour venir s’y installer. Moi je me serais bien contenté de cet amour accompagné d’eau fraiche. J’aurais continué de veiller tard à vénérer ces nuits remplies d’étoiles.  Mais bon… 

      ¤


Après une semaine frénétique à me lever tôt : Un voyage nolisé en direction du versant nord de Tremblant dont le nom vient sans doute de l’état de la route que l’on prend pour s’y rendre, un remplacement autour du lac Archambault à Saint-Donat (coudonc je n’avais pas le parkinson avant de rouler ici moi !), un autre nolisé avec des jeunes du secondaire pour un tournoi de ballon-panier à Ste-Julienne (où les routes sont plus droites mais non moins défoncées) et un autre remplacement de dernière minute jusqu’à Huberdeau (cibole chus rendu où?), Bernard (toujours boss des bus du nord) m’interpelle : 


Toujours prêt pour le remplacement de Réal? Demain, tu vas l’accompagner pour apprendre son circuit. Tu vas voir, c’est simple, ce sont des élèves handicapés pas mal tranquilles, j’suis pas mal sûr que tu vas aimer ça.


Ben oui pas de problème, il part du garage à quelle heure?


Ouain, c’est un peu plus tôt. Faudrait que tu sois ici à 5 heures et demie gros max.


J’vais être là ! dis-je enthousiaste. Mais dans ma tête, je calcule déjà l’heure à laquelle il va falloir que je me lève. Le temps du petit café, de la petite toast, du petit besoin…  Autour de 4 heures et demie du matin ?  DU MATIN ! (misère)


Longtemps, je me suis couché tard…


C’est fini ce temps-là !  


dimanche 10 mars 2024

Voir Clair

          Journée de transferts d’autobus entre deux garages. Celui de Sainte-Agathe où l’on fait de la mécanique et celui de Saint-Donat où l’on n’en fait pas.  Je suis parti en matinée avec un autobus et j’ai suivi Bernard le boss des bus pour laisser un véhicule pour un des chauffeurs qui roulent dans cette partie du nord. On en a ramené un autre pour une inspection vers Sainte-Agathe, une trentaine de kilomètres dans de la belle gadoue salée, le soleil dans face sur la route 329. Rien de stressant. Bernard  jase de ses prochaines vacances de golf dans le sud et d’un remplacement d’un circuit que je vais probablement faire à la fin du mois. Un autre chauffeur qui s’en va dans le sud. Décidément, c’est le temps des vacances comme dirait l’autre !  

          L’après-midi, je repars du garage pour retourner l’autobus fraîchement inspecté et rapidement rafistolé (Pat et Mat en ont fait le tour) à Saint-Donat. Y’a quand même des affaires pires que ça dans la vie que se promener dans ce coin de pays. Au tournant d’une courbe ou au sommet d’une montée, y’a des paysages qui valent vraiment le coup d'œil ! Mon coup de cœur, la montagne Noire qu’on longe sur plusieurs kilomètres. C’est clair que je vais revenir me taper une couple de sentiers sur ses flancs.

           Arrivé au garage de Saint-Donat, je stationne l’autobus et repars rapidement avec un autre dont je fais le tour rapidement. La ronde de sécurité a déjà été effectuée le matin, je pars donc sans tracas. Je traverse le village et reprends allègrement la 329 vers le sud. Après quelques kilomètres, je réalise qu’il n’y a plus de liquide lave-glace! Ce n’est pas long que mon pare-brise se couvre d’un voile tout blanc et rapidement les paysages environnants sont pas mal moins féériques. Évidemment, je lève le pied, mais ça reste tout de même une route rapide où roulent beaucoup de camions poids lourds, y’a peu ou pas de place pour se ranger et de toute façon je n’ai pas de bidon de secours pour remplir le réservoir.

          Je continue donc de rouler en me tortillant, dans le but de voir la route à travers les minces interstices laissés par les essuie-glace. C’est loin d’être génial l’affaire. Plus ça va, plus la visibilité est nulle. Chaque véhicule que je laisse me dépasser en rajoute une couche. Je me parle tout seul et serre le volant de plus en plus. Arrivé au village de Lantier, pas l’ombre d’une station-service où je pourrais m'arrêter. Je poursuis donc ma route en tentant de rester dessus, pas mal moins relax qu’à l'aller. L’adrénaline comme passager. Heureusement, chemin faisant, la chaussée s’est quelque peu asséchée et je peux y voir un peu plus loin que mon nez. Je souffle enfin lorsque je vois apparaître le stationnement du garage dans le dernier virage.

          Évidemment, je suis encore ici pour vous en parler même si ce n’est pas l’expérience dont je suis le plus fier. Avec le recul, je réalise la témérité de ce parcours. C’est clair que je ne le referais pas de la même manière. Pour citer Boileau :  (non, ce n’est pas un confrère chauffeur) “Hâtez-vous lentement et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage”.  OK man, c’est noté. 

jeudi 7 mars 2024

Voyage dans le temps

   Le lendemain on m’envoie chercher un groupe de la polyvalente de Sainte-Adèle pour une journée ski au Mont-Blanc. Après plusieurs minutes d’attente que je passe à regarder ces dévaleurs de pentes se préparer on m’informe qu’on a réservé un autobus de trop.  C’est de valeur. Je retourne allège vers le garage pour apprendre qu’une autre virée à Wentworth m’attend plus tard. J’ai donc retrouvé Eugénie, Emma, Romy, mes cerfs et les autres en après-midi.  Wentworth-Nord m’est apparu plus sympa et beaucoup moins stressant que la veille. Deux des agitateurs de fond de bancs m’ont tapé le poing en sortant. Yeah Yo! Respect! 

Le jour d’après, j’ai droit à un voyage dans le temps. Je dois conduire une équipe de hockey de la polyvalente des Monts de Sainte-Agathe du même nom, jusqu’à Deux-Montagnes.


Là, dans cette ville où j’ai fini mon secondaire il y a combien de temps? Quarante-quatre années à peine? Presque comme hier quoi. 


Les jeunes ont fait la chaîne pour entrer leurs poches d’équipement et leurs bâtons par la sortie de secours en arrière, le trajet se fait bien, quoiqu’un moment donné cherchant à mettre du chauffage, j’ai actionné accidentellement l’ouverture de la porte. Les feux intermittents rouges et le stop déployé pendant quelques secondes sur l’autoroute à 100 km/heure… Ça a dû faire son petit effet derrière l’autobus. Note à moi-même : Pas ce piton-là ! 


Je me retrouve donc dans les gradins à regarder des matchs de hockey interscolaire dans cette ville où j’ai fait les 400 coups. Plein de souvenirs se bousculent. Je me gèle les fesses en mangeant du steak d’aréna en me disant qu’à une époque pas si lointaine, c’est mon père et ma mère qui faisaient la même chose. Patinant sur la bottine, ma carrière de hockeyeur fut plutôt brève, mais juste assez longue pour que mes parents se tannent de faire le taxi pour nous reconduire ma soeur et moi à une activité ou une autre. Dès mes seize ans, ils m’ont donné les clefs de l’auto. Tiens mon jeune, chauffe-toi, toi-même. Ma dernière année de secondaire. Il y a combien de temps? Quarante-quatre années à peine? Presque comme hier quoi. 


Un beau Pontiac Le Man 1976 brun avec un maudit gros moteur 450, 8 cylindres, 4 barils. Le genre de char qui prendrait deux jobs à temps plein aujourd’hui question de pouvoir payer l’essence pour le faire rouler.  Maudit que j’ai eu du fun avec ce bazou-là ! Je passe sur les vertes et les pas mûres de ce qui s’est passé dans ce vieux Le Man que j’ai usé à la corde. Il aurait pu rouler encore et encore, n'eût été la carrosserie qui le supportait. Vers la fin de sa vie utile, on voyait à travers le plancher. Un matin après que je me sois couché sur les petites heures, ça a sonné à la porte du bungalow familial. Un voisin est venu nous avertir que le feu était pogné dans le char !  La chaleur du catalyseur avait allumé le tapis et ça boucanait que le diable !  Mon père avait sorti le boyau pour éteindre ça et patenteux comme pas un, il avait bouché le trou avec des bouts de tôle et pour être sûr que ce soit étanche, il avait recouvert le tout d’un fond de poche de ciment qui traînait dans le garage. À ce jour, je ne connais personne à part moi qui ait conduit un véhicule ayant un plancher de ciment. Y’a pas à dire, je ne glissais pas l’hiver avec cette auto là ! Je serais venu volontiers me perdre dans les chemins sinueux de Wentworth sans problème au volant de mon Le Man! 



    

Que d’aventures et de virées vécues à bord de ce véhicule. Contrairement à mes parents, je n'ai jamais eu mon voyage de chauffer. Les lifts que j’ai donnés ! C’est clair que ma vocation de chauffeur de taxi ne vient pas d'ailleurs que là. 


Ce périple à Deux-Montagnes m’a fait voyager dans le temps. L’année de mes seize ans. Mes joies, mes peines, mes rêves, mes amours et mon premier char ! 


J’en ai fait du chemin depuis. Quarante-quatre ans, c’est presque comme hier avec juste un peu plus de kilométrage. Pourvu que la carrosserie tienne le coup, j’ai bien l’intention de continuer de rouler.  


dimanche 3 mars 2024

Bêtes lumineuses

    15 janvier 2024 AM- Je n’ai pas encore ôté mes mitaines que Bernard me dit qu’on part sur le champ porter un autobus à un garage de Mont-Tremblant qui se spécialise dans les alignements de roues. Bref, je conduis l’autobus à réparer, Bernard me devance, il va me ramener. J’entre l’adresse sur le GPS de mon téléphone, j’arrive à Tremblant, me trompe de garage, rectifie l’itinéraire, arrive au bon endroit, Bernard a eu le temps de discuter avec le responsable, finalement je vais rester sur place le temps de l’opération. Ça me laisse le temps de boire deux trois cafés quasi potables dans le lobby de l’endroit en regardant des dépliants qui expliquent le fonctionnement d’un cardan, de la bonne façon de faire la rotation des pneus et de l’importance d’un bon alignement. Je demande au type à l'accueil s'ils réalignent également les chakras. Pas de réaction, même pas l’ombre d’un sourire. Ça m’apprendra de vouloir rouler des mécaniques. 


PM-  Comme il tombe une petite neige, je reviens au garage un peu à l’avance, mais encore là, pas le temps de déboutonner mon manteau que je dois partir en catastrophe remplacer un chauffeur qui a dû s'absenter. Le circuit part d’une école primaire de Saint-Sauveur pour aller à Wentworth-Nord.


Où ? Dis-je calmement empli de stress, essayant de rentrer le nom de ce bled sur mon téléphone.


Tu vas voir c’est simple me dit Bernard en me montrant sur l’écran de son ordi l’emplacement de l’école et en me filant les feuilles gauches-droite du circuit que je n’aurai définitivement pas le temps de consulter. Prends l’autobus #2215, faut que tu sois à Saint-Sauveur dans une demi-heure. 


Engagez-vous qu’ils disaient ! Je fais rapidement la ronde de sécurité, m’assure qu’il y a assez de liquide lave-glace et de carburant et me met en direction de l’école. Heureusement, le véhicule est celui que j’ai conduit lors de ma formation. Je sais où se trouvent les boutons de contrôles et comment il réagit sur la route. C’est déjà ça de pris.


J’arrive dans le stationnement de l’école où de toute évidence j’arrive bon dernier. Sur la radio ondes-courte (Cibi pour les initiés) une voix me dit où il faut que je recule pour attendre les enfants qui commencent à sortir de l’école. Je me reprends une fois et une autre pour faire la manœuvre mais mon manque d’expérience est évident et un gros type barbu sort d’un autobus parqué à côté et me fait signe de lui céder ma place.


Salut moé c’est Ulysse ! Me dit il en reculant le véhicule à sa place. J’ai déjà entendu son nom circuler sur les ondes, c’est le responsable de la section Piedmont de la compagnie et pas besoin de se faire faire un dessin (ou de lire un roman) pour voir qu’il a beaucoup voyagé. 


Juste le temps de se serrer la pince, les enfants arrivent, il part de son côté, je tente encore de voir sur la carte où se trouve Wentworth et quelle route je vais prendre pour m’y rendre. Toute une odyssée en perspective. 


Je salue les enfants qui montent dans l’autobus. Ils me dévisagent surpris que ce ne soit pas leur chauffeur habituel. J’ai droit à quelques “T’es qui ?” et à des “ Yé où monsieur Robert?” Ça ne prend pas 2 secondes pour que le niveau sonore rajoute une couche à mon énervement déjà bien installé. Parmi les enfants qui continuent de monter je repère une grande qui doit être en sixième année. Je lui souris, lui demande son nom et lui demande si elle veut bien m’aider pour le parcours. 


Ben oui pas de problème monsieur ! Dit Eugénie, ma nouvelle meilleure amie.


            Faque nous voilà parti vers ces contrées inexplorées. Je me concentre sur la route d'autant plus qu’il y a toujours cette petite neigette fatigante qui continue de tomber. Derrière c’est le cirque. Ça se chamaille, ça se lance des boules de papier. J’en vois un qui se balance agrippé au porte-bagages. Évidemment deux-trois autres l’imitent. Quelques autres grignotent des trucs alors que c’est interdit. Ils en profitent bien de ce chauffeur remplaçant qui ne semble pas vouloir faire de discipline. 

En fait, je reste focus sur ces chemins qui deviennent de plus en plus étroits, tortueux et passablement glissants. Y’a des montées et descentes qui nécessitent toute mon attention. Eugénie est géniale. Elle m’indique avec brio où je dois déposer les premiers élèves. Lorsqu’elle doit sortir à son tour, les suivants prennent la relève. C’est dans leur intérêt, ils ont tous hâte d’arriver à la maison. Moi aussi j’ai hâte de finir ce circuit, d'autant plus que le crépuscule commence à prendre place.  En général, j’arrive à gérer le stress assez bien. Mes années taxi m’en ont fait voir de toutes les couleurs. Mais là, ces chemins, dans ces conditions avec cette précieuse cargaison, bonjour la tension.


À la toute fin du parcours, me restent deux petites sœurs. Emma sept ans et Romy cinq ans. Malgré ça, elles n’ont aucune difficulté à me montrer la voie vers leur petit bout de rue perdu. Tourne ici ! Me dit Romy. Tourne là! Me dit Emma. Lorsque je tourne enfin sur cet ultime chemin, je vois apparaître dans les clairières une dizaine de chevreuils qui regardent tous ce gros truc jaune, s’introduire dans leur paysage.  Le troupeau ne s’énerve pas du tout lorsque je m’arrête pour faire sortir les fillettes qui s'éloignent vers leur maison en m'envoyant la main.


Je reste un moment sur place pour observer ces bêtes magnifiques dans leur environnement. L’autobus est enfin vide. Je pousse un grand OUF ! de soulagement. Le stress tombe lentement. La noirceur rapidement. Je rebrousse chemin fatigué mais content en pensant à ces belles petites bêtes lumineuses.


Sortir du bois

                 Les dernières semaines ont été bien remplies. Notre potager et notre petite forêt nourricière nous ont tenu ma blonde et mo...