dimanche 2 juin 2024

Julia

    La petite reste en bas des marches. Elle me regarde d’un regard noir les sourcils froncés.


Encore toi? À l'est où Stéphanie ?


Je ne sais pas je pense qu’elle est malade.


     Et pourtant, je le sais trop bien. Stéphanie a donné sa démission le jour même et je viens d'hériter de son parcours, probablement jusqu’à la fin des classes. En la remplaçant vendredi dernier, j’étais loin de me douter que ce serait pour de bon.  Je me retrouve donc dans cette cours d’école en début d’après-midi et il fait une chaleur torride. Pas d’échappatoire dans cet autobus surchauffé, pas d’échappatoire devant ces regards d’enfants qui me demandent froidement où est leur chaufferette. Je sais qu’elle ne reviendra plus. Mais n’en dis pas plus.


La petite monte lentement avec un air renfrogné. Je crois la reconnaître, c’est Julia ma petite peste de la semaine d’avant. Je tente de l’amadouer.


Moi c’est Léon. Toi c’est quoi ton prénom ?


Devine !  Je sens poindre un début de soupçon de connivence.


Euh? Anna !


Non.


Hum, j’pense que ça fini par un A, Eva ?


Non. 


     Je lui demande alors de me donner son petit doigt et fais mine de me concentrer sérieusement. 


C’est.. c’est..c’est… JULIA ! 


Ben NON ! Julia c’est ma soeur !


     Quoi!? Elles sont deux! Et justement, je vois l’autre devant l’autobus. Elles ne se ressemblent pas tant que ça. Dans les jours qui suivront, je réaliserai que ma propension à confondre les élèves me confondra moi-même. Bref, la tempête Julia arrive et j’ai sa sœur devant moi qui attend toujours que je trouve son prénom. 


Avance! EMMA ! Crie Julia en bousculant sans ménagement sa frangine avant de lancer son sac à dos dans l’allée et de lui donner un coup de pied pour le catapulter encore plus loin.


Emma, je le savais. Est-ce que t’es aussi tannante que Julia?


Elle me regarde affichant un sourire narquois, fait non de la tête et s’approchant de moi, elle donne une pichenotte sur la palette de ma casquette avant d'aller rejoindre les autres derrière. Oh boy! Ça promet ! Julia fait déjà des siennes. Pas besoin de regarder derrière, le chignage des autres enfants est suffisant.  Elle est accrochée au porte-bagage et surfe sur les dossiers de banquette. Je lui dis d’arrêter ses acrobaties mais la môme me regarde d’un regard aussi vide qu’un poisson mort. Les autres élèves me regardent aussi. Ils ont beau n’avoir que 5-6-7 ans, ma façon de faire ne leur échappera pas si je reste leur chauffeur régulier. 



Fermement je dis encore une fois à Julia de s’asseoir comme il faut et que je ne veux plus voir ça dans l’autobus. Pas la moindre idée si mon admonestation a porté mais le signal de départ des bus est donné et je dois retourner derrière le volant. Je ne suis pas encore sorti du stationnement de l’école que la petite peste est debout et cours dans l’allée. J’ai beau ne pas l’avoir longtemps à bord, elle transfère dans un autobus à l’autre école primaire où je me dirige, elle m’en fait déjà baver. Je ne peux m’empêcher de penser que cette petite tempête sur deux pattes est la raison principale du départ de Stéphanie. 


En milieu de semaine, alors que l’autobus se remplit des gamins, j’observe une des surveillantes qui tient Julia par la main devant l’autobus. C’est clair qu’elle a fait une niaiserie avant de sortir de l’école. Je jase avec les tout-petits (heureusement, y’en a des vraiment chouettes) en continuant d’observer Julia qui a l’air de se foutre complètement de la surveillante qui s’approche de la porte du bus.


Dis-moi, Julia, comment elle se comporte dans l’autobus? 


Je me demande si elle est sérieuse. Elle doit bien savoir de quoi il en retourne, mais je lui fais un résumé rapide : 


Elle tape les autres, mange des collations (C’est interdit/allergies), ne reste pas assise, saute sur les sièges, a un langage grossier, entraîne les autres dans ses niaiseries, fait pleurer sa sœur etc. etc. etc.


Bon OK j’appelle son père, il va venir la chercher. Je vais te demander de faire des rapports de discipline si ça continue. 


Ben oui. Rien de tel pour bâtir de quoi de constructif. Des piles de rapports en perspective. Je ne peux m’empêcher de songer au milieu dans lequel évolue cet enfant. Je vois bien à ses vêtements, ses cheveux et son apparence qu’elle et sa sœur ne viennent pas d’un environnement aussi privilégié que la plupart de leurs camarades de classe.  Je ne peux m’empêcher de songer que les gestes et l’attitude de Julia doivent refléter ce qu’elle observe dans son monde. Sa rébellion n’est peut-être qu’une réaction plus ou moins consciente de son cadre familial. Sa façon de communiquer avec les autres est pour le moins disloquée. Elle cherche par tous les moyens inimaginable d’attirer l’attention vers elle. Je ne sais pas, je tente probablement de trouver une solution en m’expliquant ses motivations. Je me pose certainement trop de questions. J’aimerais surtout trouver un point de rencontre avec cette gamine qui éviterait la confrontation et de stériles rapports disciplinaires.


Je m’attends à ce que Julia continue de m’en faire baver jusqu’à la fin de l’année scolaire, mais dans le fond, je me demande qui des deux en bave le plus. Triste constat.   


1 commentaire:

  1. Courage, lâche la pas. Ça prend tout un village pour élever un enfant. Et assurément ça ne se passera pas dans sa maison.

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