mardi 16 juillet 2024

Camps

Moi qui pensais foutre le camp sur le bord de la mer, me voilà à faire des voyages nolisés partant des camps de vacances de la région en direction de sites d’activités variées. À date, rien ne se rapproche de l’océan même si parfois, vu la chaleur qui règne dans l’autobus, une vague odeur de marée basse s’immisce. 


La semaine dernière par exemple, j’ai eu un contrat pour aller chercher une gang d’enfants dans un camp de vacances de juifs orthodoxe dans le coin de la Minerve. Quatre autobus nolisés pour la journée, direction un centre d’achats de Laval où se trouve un espace dédié à de l’escalade et de la trampoline.  


Dans le parking du garage je retrouve Réal que je n’avais pas vu depuis l’hiver. J’avais hérité de son circuit d'enfants handicapés pendant ses vacances sur les plages du Brésil. On se serre la pince et lui demande : 


Allo Réal ! Ça va ?


Salut Léon, ça va et toi? 


Ça va bien et toi Réal ça va ? Je répète sur un ton différent en examinant sa réaction et sans attendre, je redemande une autre fois comment il va. Il souris et comprend enfin que j’imite la petite Léa et son obsession du bonheur de son chauffeur.


Je lui demande des nouvelles de sa cohorte et lui raconte l’anecdote de la sortie ratée. Il me dit que la petite Léa dans les dernières semaines avant la fin des classes a réussi à se détacher de son harnais et elle se promenait librement dans l’autobus.


J’imagine la scène. Léa qui repends sa joie de vivre dans l’autobus tentant au passage de voler le robot de Logan. Une bagarre s’ensuit avec comme bruit de fond les cris de Gabriel et d’Antoine qui s’est encore une fois dénudé, tout ça dans la cacophonique version de la Reine des Neiges hurlée par Clara accompagnée pour l’occasion de son frère Carl qui trop énervé va finir par se vomir dessus. Finalement l’idée de passer une partie de l’après-midi dans un parking de centre d’achat de Laval m'apparaît presque féérique. 


Monsieur S. (alias M. Patate dans la douche) se joint à nous pour nous dire ce qu’il pense de ce camp où nous allons. Comme je ne comprends qu’un mot sur les trois qui sortent de sa bouche, je retiens : “c’est loin” et “font du bruit et sont cochons”. Heureusement, le bruit du quatrième autobus qui arrive complétant l'excursion vient brouiller le reste des propos pas trop catholiques du vieux chauffeur. 


Effectivement, ce camp de vacances est loin. Difficile d’être plus dans le fin fond des bois que ça. Pourtant, ce qui me frappe lorsqu’on y arrive, c’est d’être stoppé par un portail grillagé où l’on doit attendre quelques instants avant de pouvoir pénétrer la propriété. Après quelques mètres sur un chemin assez défoncé, une clairière apparaît avec en périphérie des dizaines de baraquements où se trouve une foule d’enfants. Que des garçons. Deux jeunes, à peine plus vieux que ceux qui essaiment la clairière nous indiquent où stationner les autobus.


Pendant que le véhicule se remplit d’enfants surexcités à l’idée d’aller s’envoyer en l’air à Laval, j’examine le camp. En contrebas se trouve un grand bâtiment qui semble être un réfectoire, une salle commune voire une synagogue. Sinon ce qui me frappe, c’est le délabrement des baraquements et le fait que l’endroit est complètement entouré de hautes clôtures de broche. J’ai beau me raisonner, je ne peux m’empêcher de faire des rapprochements avec d’autres types de camps. Je regarde les enfants monter à bord. Chacun d’eux ont des ancêtres pas si lointains qui sont passés par ces autres types de camps. 


Je ne peux également m’empêcher de penser à ce qui se passe dans la bande de Gaza. À ces autres enfants dans des camps de réfugiés là-bas. Difficile d’être indifférent. Difficile de ne pas laisser monter la colère et le ressentiment. Difficile de vivre dans un confortable déni. Difficile de choisir son camp.


Heille Léon ! Sais-tu où s’qu’on va? Me crie Steve le chauffeur de l’autobus stationné à côté de moi. Intérieurement, je m’interroge sérieusement. Où s’en va-t-on ? Christ de bonne question. Jour après jour, je vois ces guerres qui s’éternisent, je vois ces montées fascistes, je vois la corruption généralisée, je vois le manque d’empathie, je vois les catastrophes climatiques se multiplier. Non sérieusement, pas une maudite idée dans quelle direction le vent va nous pousser. J’ignore où l’on s’en va. 


Je lève le pouce, démarre l’autobus et prends les devant. Derrière ça crie, ça chante, ça fout le bordel. Des enfants en vacances qui partent s’amuser. Je vais attendre avec les autres chauffeurs dans ce parking surchauffé. On va s’échanger des banalités, des histoires d’enfants d’école puis on va ramener tout ce beau petit monde à bon port. 


Sur la route de retour au garage au volant de cet autobus allège, j’ai le cœur lourd avec une belle envie de sacrer mon camp.


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