vendredi 9 août 2024

Sortir du bois

             Les dernières semaines ont été bien remplies. Notre potager et notre petite forêt nourricière nous ont tenu ma blonde et moi passablement occupés. C’est sûr qu’on se trouve loin de l’océan et des plages mais le petit lac qui se trouve pas loin a été parfait pour nous rafraîchir lors des journées de canicule. Mis à part quelques insectes suceurs de sang, y’a pas de quoi se plaindre de cette vie dans les bois. 

Dans une autre branche, je n'ai pas chômé comme chauffeur.  Entre autres, deux gros voyages de camps d’été juifs en destination de La Ronde. Le premier avec les fillettes, le second avec les garçons. Les unes ne se mêlant pas aux autres, chacun dans leur monde à part.  J’ai trouvé fascinant d’être en leurs compagnies le temps de ces itinéraires. Bien sûr, ce sont des enfants. Ça crie, ça niaise, ça se dispute, ça n’écoute pas les consignes et ça salope l’autobus. Mais les entendre chanter tous ensemble des airs folkloriques ou du rap en yiddish au travers leurs conneries et leurs prières, mettons que ça sort des sentiers battus. 


Assez dépaysant également de me retrouver à faire le touriste dans une ville où j’ai vécu plus de la moitié de ma vie. Tant qu’à attendre cinq-six heures dans le stationnement de la Ronde, j’en ai profité lors du voyage des gamins pour prendre la navette fluviale et rejoindre les centaines de visiteurs amassés dans le Vieux-Montréal. J’ai traversé une Place Jacques-Cartier bondée pour aller manger un phô dans le Chinatown et ensuite errer ça et là sur Sainte-Catherine et dans le quartier latin. Chaque racoin me rappelant un souvenir de ma vie d’avant. Combien de fois ai-je arpenté ces rues montréalaises ? Moi qui n’a pas tant cette fibre nostalgique, j'étais content de revenir me faufiler dans ses embranchements.  


J’ai pris le métro jusqu’à l’île Sainte-Hélène pour retourner dans la nature. Je suis passé sous la Biosphère et traversé lentement un petit boisé pour me retrouver auprès du fleuve Saint-Laurent. Assis sur un banc, j’ai regardé cette ville en me disant que pas mal d’eau avait coulé depuis mon départ dans le nord. J’ai laissé mon esprit voguer devant ces eaux en imaginant ce que pouvaient être ces lieux lorsqu’ils n’étaient que forêt. Vils fantasmes.



            J’ai rejoint mes confrères dans le stationnement.  Plusieurs d'entre eux manifestaient déjà leur impatience de reprendre la route.  Quelques-uns se gênant à peine dans leurs commentaires antisémites. N’ayant pas envie d’entendre ça, je suis allé m’asseoir dans mon véhicule pour attendre mes jeunes passagers qui lentement se massaient devant les autobus. Au travers eux, une minivan s’est faufilée et arrêtée. C’était le banquet de fin de journée pour ces enfants. Plusieurs dizaines de boîtes de pizzas et de pâtisseries sont apparues. Je me suis régalé lorsqu’on m’a offert un énorme rugelach fourré au chocolat. Rapidement, un nuage de mouette s’est joint au festin.  Sur fond de ciel crépusculaire, une scène complètement surréaliste, absolument unique.


    Après s’être bien bâfrés, les gamins sont revenus dans leurs autobus respectifs et nous avons repris la route dans un calme plus ou moins relatif vers leur camp de La Minerve. Deux longues heures de route pour les reconduire à bon port, une autre pour ramener l’autobus au garage, faire le ménage, faire le plein et remplir les papiers inhérents au voyage. Fatigué mais satisfait de ma virée montréalaise, j’ai retrouvé mon bois, ma blonde et notre lit. J’ai dormi comme une bûche.


mardi 16 juillet 2024

Camps

Moi qui pensais foutre le camp sur le bord de la mer, me voilà à faire des voyages nolisés partant des camps de vacances de la région en direction de sites d’activités variées. À date, rien ne se rapproche de l’océan même si parfois, vu la chaleur qui règne dans l’autobus, une vague odeur de marée basse s’immisce. 


La semaine dernière par exemple, j’ai eu un contrat pour aller chercher une gang d’enfants dans un camp de vacances de juifs orthodoxe dans le coin de la Minerve. Quatre autobus nolisés pour la journée, direction un centre d’achats de Laval où se trouve un espace dédié à de l’escalade et de la trampoline.  


Dans le parking du garage je retrouve Réal que je n’avais pas vu depuis l’hiver. J’avais hérité de son circuit d'enfants handicapés pendant ses vacances sur les plages du Brésil. On se serre la pince et lui demande : 


Allo Réal ! Ça va ?


Salut Léon, ça va et toi? 


Ça va bien et toi Réal ça va ? Je répète sur un ton différent en examinant sa réaction et sans attendre, je redemande une autre fois comment il va. Il souris et comprend enfin que j’imite la petite Léa et son obsession du bonheur de son chauffeur.


Je lui demande des nouvelles de sa cohorte et lui raconte l’anecdote de la sortie ratée. Il me dit que la petite Léa dans les dernières semaines avant la fin des classes a réussi à se détacher de son harnais et elle se promenait librement dans l’autobus.


J’imagine la scène. Léa qui repends sa joie de vivre dans l’autobus tentant au passage de voler le robot de Logan. Une bagarre s’ensuit avec comme bruit de fond les cris de Gabriel et d’Antoine qui s’est encore une fois dénudé, tout ça dans la cacophonique version de la Reine des Neiges hurlée par Clara accompagnée pour l’occasion de son frère Carl qui trop énervé va finir par se vomir dessus. Finalement l’idée de passer une partie de l’après-midi dans un parking de centre d’achat de Laval m'apparaît presque féérique. 


Monsieur S. (alias M. Patate dans la douche) se joint à nous pour nous dire ce qu’il pense de ce camp où nous allons. Comme je ne comprends qu’un mot sur les trois qui sortent de sa bouche, je retiens : “c’est loin” et “font du bruit et sont cochons”. Heureusement, le bruit du quatrième autobus qui arrive complétant l'excursion vient brouiller le reste des propos pas trop catholiques du vieux chauffeur. 


Effectivement, ce camp de vacances est loin. Difficile d’être plus dans le fin fond des bois que ça. Pourtant, ce qui me frappe lorsqu’on y arrive, c’est d’être stoppé par un portail grillagé où l’on doit attendre quelques instants avant de pouvoir pénétrer la propriété. Après quelques mètres sur un chemin assez défoncé, une clairière apparaît avec en périphérie des dizaines de baraquements où se trouve une foule d’enfants. Que des garçons. Deux jeunes, à peine plus vieux que ceux qui essaiment la clairière nous indiquent où stationner les autobus.


Pendant que le véhicule se remplit d’enfants surexcités à l’idée d’aller s’envoyer en l’air à Laval, j’examine le camp. En contrebas se trouve un grand bâtiment qui semble être un réfectoire, une salle commune voire une synagogue. Sinon ce qui me frappe, c’est le délabrement des baraquements et le fait que l’endroit est complètement entouré de hautes clôtures de broche. J’ai beau me raisonner, je ne peux m’empêcher de faire des rapprochements avec d’autres types de camps. Je regarde les enfants monter à bord. Chacun d’eux ont des ancêtres pas si lointains qui sont passés par ces autres types de camps. 


Je ne peux également m’empêcher de penser à ce qui se passe dans la bande de Gaza. À ces autres enfants dans des camps de réfugiés là-bas. Difficile d’être indifférent. Difficile de ne pas laisser monter la colère et le ressentiment. Difficile de vivre dans un confortable déni. Difficile de choisir son camp.


Heille Léon ! Sais-tu où s’qu’on va? Me crie Steve le chauffeur de l’autobus stationné à côté de moi. Intérieurement, je m’interroge sérieusement. Où s’en va-t-on ? Christ de bonne question. Jour après jour, je vois ces guerres qui s’éternisent, je vois ces montées fascistes, je vois la corruption généralisée, je vois le manque d’empathie, je vois les catastrophes climatiques se multiplier. Non sérieusement, pas une maudite idée dans quelle direction le vent va nous pousser. J’ignore où l’on s’en va. 


Je lève le pouce, démarre l’autobus et prends les devant. Derrière ça crie, ça chante, ça fout le bordel. Des enfants en vacances qui partent s’amuser. Je vais attendre avec les autres chauffeurs dans ce parking surchauffé. On va s’échanger des banalités, des histoires d’enfants d’école puis on va ramener tout ce beau petit monde à bon port. 


Sur la route de retour au garage au volant de cet autobus allège, j’ai le cœur lourd avec une belle envie de sacrer mon camp.


dimanche 30 juin 2024

Le Temps des Vacances

         Les dix jours qui précèdent la fin de l’année scolaire, je remplace bien peinard un vieux de la vieille sur la brèche à cause de sérieux maux de dos. Avec plus de 40 ans de route à se faire bardasser dans des camions et des autobus de tout genre, le corps de Maurice a décidé d’arrêter de suivre.  Depuis que j’ai commencé comme chauffeur, je lai vu presque chaque jour se traîner à l’aide de sa canne jusqu’au Blue Bird pour faire son circuit. Il en avait vu une, pis une autre. Il n’était pas arrêtable lorsqu’il racontait une anecdote sur ses innombrables voyages ou sur ses excursions de chasse. Il gardait sur son téléphone, les photos de ses trophées, de ses exploits d’homme des bois. Un type que les années ont rattrapé. Triste de ne pas être capable de finir l’année. 


Avec son ancienneté, le circuit de Maurice des plus aisé. Pas trop loin des écoles, des routes pas trop maganées et des élèves assez tranquilles. Comparativement à des parcours que je me suis tapé au fil de l’année, celui de Maurice est un vrai charme. Grâce à ses années de service, Maurice a aussi la priorité quand vient le temps de choisir les voyages spéciaux et parascolaires. Si par exemple un autobus doit reconduire une équipe de hockey à tel ou tel endroit, c’est clair que c’est le vieux Maurice qui en hérite. C’est ce qui fait que pendant ces derniers mois, j’ai eu à le remplacer plusieurs fois. Le circuit de Maurice, je l’ai apprivoisé petit à petit et même si je compatissais sur son sort, j’étais bien content de m’approprier sa route.


Dix jours a ne pas me casser la tête, a avoir un horaire stable sur un circuit facile à bord d’un beau Blue Bird pas trop bringuebalant. C’était éminemment sympa de conduire les enfants du primaire surexcités qui comptaient les dodos avant les vacances. Et ceux du secondaire plutôt stressés pendant leur semaine d’examens. Une petite routine quotidienne s’est installée et comme les enfants je me suis mis à compter les jours avant les vacances.


Le tout dernier jour, après avoir fait le parcours matinal, Bernard, le boss des bus du nord, me demande de remplacer un chauffeur de Sainte-Adèle pour l’après-midi. 


T’es pas obligé de dire oui me dit-il d’un ton qui indique le contraire.


Ça ne me tente pas tant que ça mettons, mais comme je suis le dernier arrivé, mes options sont limitées et je dois admettre que je l’ai eu facile ces derniers 10 jours faque en bon soldat, j’accepte de plus ou moins bonne grâce. Bernard m’imprime la feuille des gauches/droites des rues d’un secteur de la ville de Piedmont où je n’ai jamais mis un pneu et je retourne chez-nous jeter un oeil sur ce circuit où je n’aurai que les élèves du primaire à reconduire, c’est déjà ça.  


L’après-midi, je me retrouve donc dans la cour de cette école, ignorant où je dois stationner l’autobus. Je demande au premier chauffeur que je croise. Il hausse les épaules. J’en vois un autre plus loin qui m'indique d’un signe l’endroit où je dois reculer entre une benne à déchets et un poteau électrique. Six mois plus tôt, si j’avais eu à reculer un bus de cette grosseur dans un espace aussi exigu, j’ignore ce que j’aurais fait. Là, j’y arrive du premier coup et suis plutôt fier. Les enfants commencent à sortir de l’école, y’a des ballons, des banderoles et de la musique qui joue. Je regarde encore une fois ma feuille de gauche/droite en même temps que l’itinéraire que j’ai sauvegardé sur mon téléphone quand tout à coup j’entend sortir des haut-parleurs une toune qui m’arrache un sourire : C’est le temps des vacances de Pierre Lalonde, mon homonyme. Ce n’est pas mêlant presqu’à chaque fois que je me présente à quelqu’un la première fois, on me la chante.  Souvent ça me fatigue, mais là je ne peux faire autrement que retrouver ma bonne humeur.


Ben oui, voilà venu le temps des vacances. Je regarde les enfants se diriger vers les autobus. C’est la fin de l’école pour l’été et beaucoup se disent au revoir jusqu’à l’automne. Pour d’autres, c’est la fin d’une étape, direction le secondaire. J’en vois plusieurs en pleurs qui se font des câlins. Un fillette d’une dizaine d'années monte dans l’autobus avec de chaudes larmes qui lui coulent sur les joues. C’est triste et touchant. Elle sera la dernière du parcours, ma dernière passagère de la saison scolaire. 


Lorsqu’elle s’avance dans l’allée pour sortir de l’autobus, je lui dis : On est heureux que l’école se termine et triste de ne plus revoir ses amis. C’est bizarre comme sentiment tu ne trouves pas?  La fillette qui est montée à bord en pleurant en ressort avec un petit sourire aux lèvres. Heureux d’avoir pu lui changer son humeur, heureux d’avoir terminé la saison, je reprends la route vers le garage, le cœur léger avec une petite chanson me trottant dans la tête.  


dimanche 16 juin 2024

Tour de Machine

Dernière semaine avant la fin de l’année scolaire. Déjà. Enfin. Je n’ai pas la même satisfaction que ceux et celles qui ont débuté dès l’automne mais bon, le sentiment général de libération qui règne chez mes camarades chauffeurs et chaufferettes (sic), les enseignants, brigadiers/ères et bien évidemment chez les élèves est plus que palpable. L'effervescence dans l’autobus est manifeste et j’ai l’impression que la semaine qui vient va être assez rock n’ roll. 


Une autre étape de franchie dans mon parcours de vie. Ça aura été plein de surprises et de découvertes. La rencontre avec ces petits humains aura été majeure à plein d’égards. Moi qui ai choisi de ne pas être père, me suis retrouvé dans un monde où l’enfance prédomine. Cet immersion m’a bien entendu confronté face à l’individu que je suis, à mon rapport avec ces autres êtres humains indépendamment de leurs âges. Une aventure révélatrice, sensible et pour le moins passionnante.


Pourtant, avec le peu de recul que peuvent avoir ces six derniers mois, je réalise que le carburant qui continue encore et toujours de me propulser, c’est la route. De rouler jour après jour sur ces routes souvent improbables sur un territoire à la géographie définitivement variable, dans ces côtes et vallons, dans ces chemins de garnottes défoncés ou sur ces routes ou la neige rends l’accès difficile voire dangereux, de monter difficilement sur des pentes où des paysages hallucinants t’attendent au sommet, tout ça reste pour moi le moteur qui me permet de continuer à avancer.


Y’a sans doute un moment dans ma vie où cette évidence s’est confirmée. Que cet état de mouvement et de vélocité s’est imposé. Toutes ces années taxi me l’ont bien apprises, la route c’est mon exutoire, c’est mon remède. D’être au volant, c’est de reprendre le contrôle sur la partie de moi qui cherche inconsciemment à rentrer dans un mur. C’est la partie de moi qui tente de continuer de rouler drette. 


Aujourd’hui c’est la fête des pères. J’arrive à l’âge que mon paternel avait lorsqu’il est décédé. Il aurait pu faire encore un bon bout de route n’eut été d’un fuck à l'hôpital où il était entré pour une chirurgie mineure. Anyway. C’est lui qui m’a montré à (me) conduire. Oui, il y a eu des cours de conduite, mais ces années d’enfance à l’observer derrière le volant de sa Ford Galaxie 500 ou de son Dodge Démon à parcourir les routes de campagne pour aller ici et là. Quelle joie lorsqu’il nous disait ces avant-midi de fin de semaine : On va tu faire un tour de machine ?  Voir ses mains sur le volant, filer à vive allure les vitres grandes ouvertes. Le mouvement, l’aventure, être là dans le moment présent, mais ailleurs.


J’sais pas ce qu’il dirait mon vieux père de me voir rouler à bord de ces gros trucs jaunes sur ces petites routes cabossées. J’pense qu’il me demanderait de venir faire un tour. Envouwèye le père, embarque, on s’en va faire un tour de machine !



dimanche 9 juin 2024

Roulements Habiles

         Je ne ferai pas le circuit de Stéphanie jusqu’à la fin des classes. On l’a attribué à un autre chauffeur qui m’a semblé apte à faire face à la musique. J’aurai pu continuer de rouler avec les petites pestes qui “égayaient” cette route. Je suis convaincu que je serais parvenu à maintenir un certain équilibre entre les tannants et aboutissants de ce parcours. Mais bon, un autre facteur entrait en ligne de compte. Comme le circuit se faisait à Saint-Sauveur, ça m’obligeait à me lever plus tôt pour m’y rendre et je rentrais également beaucoup plus tard. Je n’ai pas voulu me peinturer dans un coin en appliquant sur ce poste, on l’a donné à un autre, fin de l’histoire. Ou du moins de ce chapitre.

        Curieusement, j’ai passé le reste de la semaine à me demander ce qui se passait avec mes petits démons. Avec les petits anges aussi car il s’en est trouvé des super attachants. Malgré le fait que je n’aie passé que deux petites semaines avec eux, des liens se sont tissés. 

        Quelques-uns m’ont fait part de leurs regrets de me voir partir dont Luc, un enfant autiste fin primaire. La première journée, il s’était insurgé de voir un nouveau chauffeur arriver en retard de quelques minutes à son arrêt. Jamais il ne se gênait pour venir me verbaliser ses récriminations, surtout qu’il se faisait pas mal achaler par deux-trois petits saligauds qui m’en ont fait également baver. À force, une sorte de solidarité s’est immiscée entre Luc et moi et malgré qu’à part ses doléances, il n’était pas très porté sur la conversation, il a été un de ceux qui m’a serré la main lors de ma dernière journée. On s’est souhaité bonne route. 


Je garde donc mes roulements habiles et suis de retour dans mon rôle de pivot. Des remplacements ici et là, des voyages nolisés et quoi encore? J’ai d’ailleurs eu à me taper un beau petit aller-retour dans l’étuve montréalaise la semaine dernière. 40 ados surexcités dans un bus/sauna pogné dans l’heure de pointe sur l’autoroute Décarie à près de 40 degrés. Ça suintait presque la joie de vivre. Prétexte? Un match de basket à l’auditorium de Verdun. Mon ancien “hood” avant de partir dans le nord. Comme ma sœur habite pas loin, je suis allé boire une bonne limonade avant de retourner me faire suer à attendre mon troupeau pour remonter à Saint-Donat dans les travaux de la 15. Le temps de les ramener, de revenir au garage de Sainte-Agathe, de faire le ménage de l’autobus, je suis revenu chez moi sur les petites heures du matin. Épique. 


Il ne reste que deux semaines avant la fin de l’année scolaire. Ça achève. Ensuite ce sera des voyages ici et là. La Ronde, des camps de vacances et quoi encore? Qui roulera, verra ! 


dimanche 2 juin 2024

Julia

    La petite reste en bas des marches. Elle me regarde d’un regard noir les sourcils froncés.


Encore toi? À l'est où Stéphanie ?


Je ne sais pas je pense qu’elle est malade.


     Et pourtant, je le sais trop bien. Stéphanie a donné sa démission le jour même et je viens d'hériter de son parcours, probablement jusqu’à la fin des classes. En la remplaçant vendredi dernier, j’étais loin de me douter que ce serait pour de bon.  Je me retrouve donc dans cette cours d’école en début d’après-midi et il fait une chaleur torride. Pas d’échappatoire dans cet autobus surchauffé, pas d’échappatoire devant ces regards d’enfants qui me demandent froidement où est leur chaufferette. Je sais qu’elle ne reviendra plus. Mais n’en dis pas plus.


La petite monte lentement avec un air renfrogné. Je crois la reconnaître, c’est Julia ma petite peste de la semaine d’avant. Je tente de l’amadouer.


Moi c’est Léon. Toi c’est quoi ton prénom ?


Devine !  Je sens poindre un début de soupçon de connivence.


Euh? Anna !


Non.


Hum, j’pense que ça fini par un A, Eva ?


Non. 


     Je lui demande alors de me donner son petit doigt et fais mine de me concentrer sérieusement. 


C’est.. c’est..c’est… JULIA ! 


Ben NON ! Julia c’est ma soeur !


     Quoi!? Elles sont deux! Et justement, je vois l’autre devant l’autobus. Elles ne se ressemblent pas tant que ça. Dans les jours qui suivront, je réaliserai que ma propension à confondre les élèves me confondra moi-même. Bref, la tempête Julia arrive et j’ai sa sœur devant moi qui attend toujours que je trouve son prénom. 


Avance! EMMA ! Crie Julia en bousculant sans ménagement sa frangine avant de lancer son sac à dos dans l’allée et de lui donner un coup de pied pour le catapulter encore plus loin.


Emma, je le savais. Est-ce que t’es aussi tannante que Julia?


Elle me regarde affichant un sourire narquois, fait non de la tête et s’approchant de moi, elle donne une pichenotte sur la palette de ma casquette avant d'aller rejoindre les autres derrière. Oh boy! Ça promet ! Julia fait déjà des siennes. Pas besoin de regarder derrière, le chignage des autres enfants est suffisant.  Elle est accrochée au porte-bagage et surfe sur les dossiers de banquette. Je lui dis d’arrêter ses acrobaties mais la môme me regarde d’un regard aussi vide qu’un poisson mort. Les autres élèves me regardent aussi. Ils ont beau n’avoir que 5-6-7 ans, ma façon de faire ne leur échappera pas si je reste leur chauffeur régulier. 



Fermement je dis encore une fois à Julia de s’asseoir comme il faut et que je ne veux plus voir ça dans l’autobus. Pas la moindre idée si mon admonestation a porté mais le signal de départ des bus est donné et je dois retourner derrière le volant. Je ne suis pas encore sorti du stationnement de l’école que la petite peste est debout et cours dans l’allée. J’ai beau ne pas l’avoir longtemps à bord, elle transfère dans un autobus à l’autre école primaire où je me dirige, elle m’en fait déjà baver. Je ne peux m’empêcher de penser que cette petite tempête sur deux pattes est la raison principale du départ de Stéphanie. 


En milieu de semaine, alors que l’autobus se remplit des gamins, j’observe une des surveillantes qui tient Julia par la main devant l’autobus. C’est clair qu’elle a fait une niaiserie avant de sortir de l’école. Je jase avec les tout-petits (heureusement, y’en a des vraiment chouettes) en continuant d’observer Julia qui a l’air de se foutre complètement de la surveillante qui s’approche de la porte du bus.


Dis-moi, Julia, comment elle se comporte dans l’autobus? 


Je me demande si elle est sérieuse. Elle doit bien savoir de quoi il en retourne, mais je lui fais un résumé rapide : 


Elle tape les autres, mange des collations (C’est interdit/allergies), ne reste pas assise, saute sur les sièges, a un langage grossier, entraîne les autres dans ses niaiseries, fait pleurer sa sœur etc. etc. etc.


Bon OK j’appelle son père, il va venir la chercher. Je vais te demander de faire des rapports de discipline si ça continue. 


Ben oui. Rien de tel pour bâtir de quoi de constructif. Des piles de rapports en perspective. Je ne peux m’empêcher de songer au milieu dans lequel évolue cet enfant. Je vois bien à ses vêtements, ses cheveux et son apparence qu’elle et sa sœur ne viennent pas d’un environnement aussi privilégié que la plupart de leurs camarades de classe.  Je ne peux m’empêcher de songer que les gestes et l’attitude de Julia doivent refléter ce qu’elle observe dans son monde. Sa rébellion n’est peut-être qu’une réaction plus ou moins consciente de son cadre familial. Sa façon de communiquer avec les autres est pour le moins disloquée. Elle cherche par tous les moyens inimaginable d’attirer l’attention vers elle. Je ne sais pas, je tente probablement de trouver une solution en m’expliquant ses motivations. Je me pose certainement trop de questions. J’aimerais surtout trouver un point de rencontre avec cette gamine qui éviterait la confrontation et de stériles rapports disciplinaires.


Je m’attends à ce que Julia continue de m’en faire baver jusqu’à la fin de l’année scolaire, mais dans le fond, je me demande qui des deux en bave le plus. Triste constat.   


lundi 20 mai 2024

Petites Pestes

         Oui bon, ok, un mois sans texte. Désolé mais je vais au gré des saisons. Ici sur nos terres agathoises c’est la saison des semences et des plantations. Trois nouveaux arbres fruitiers cette année ainsi que quelques framboisiers en plus des réparations de clôtures et des boîtes. À chaque jour suffit sa peine pour accéder tranquillement pas vite vers l’autonomie alimentaire. Y’a aussi la saison des séries de hockey. Ben oui quoi, ce n’est pas parce que tu donnes dans le “littéraire” que ça empêche d’autres ferveurs? J’ai assez de ma blonde qui se fout de ma gueule quand je regarde un (ou deux) matchs en soirée. Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi? Bon je reviens à mes moutons.

Les enfants. Évidemment lorsque t’es chauffeur d’autobus scolaire, la priorité ce sont les tout petits. Précieuse cargaison s’il en est. Il faut s’assurer que le transport soit fait en toute sécurité, de la maison à l’école et vice versa.  La vigilance est primordiale lors des arrivées et départs surtout lorsqu’on se trouve sur une route où la circulation à contre sens est souvent rapide. Il est également important de veiller à ce que tout se passe bien à l’intérieur du véhicule et même quand l’idée te prend de jeter un petit diable par-dessus bord, ben non, tu ne peux pas. 


C’est qu’un petit ange a tôt fait de se transformer en p’tit crisse d’une journée à l’autre ou encore lorsqu’il se retrouve au contact d’un autre petit ange cornu. Les relations interpersonnelles entre ces petits êtres sont souvent fascinantes. Bien sûr, l’essentiel de mon attention est dirigée vers la route, mais parfois suffit que je lève les yeux dans le grand rétroviseur pour réaliser que rien n’est jamais à ce qu’il paraît. Eux aussi t’observent. Surtout ceux qui ont de quoi derrière la tête. Y’en a quelques-uns qui sont pas mal ratoureux. Ils attendent le bon moment pour en taper un autre, voler sa casquette, lancer un bout de papier, lâcher un cri à un passant par la fenêtre ou quoi encore ?


Les pires sont bien entendu les garçons. Suffit qu’il s’en trouve deux avec des affinités semblables de fauteur de troubles pour que le bordel pogne. Ils se relancent l’un l’autre avec leurs niaiseries. Boys will be boys il paraît. Mais la semaine dernière, j’ai eu une gamine de 7 ou 8 ans qui s’est révélée être une sacrée peste. En m’apercevant elle m’a invectivé d’un : 


T’es qui toué ?   


Je remplace Stéphanie cet après midi, va t’asseoir ma grande


Chus pas ta grande ! Chose !


Bon ok va t’asseoir quand même. 


Le temps que je me retourne pour accueillir les autres gamins qui se pressent à l’entrée du bus, un petit garçon se met à pleurer derrière et j’entend : 


Julia a tapé mon p’tit frère !


Julia, je l’aurai parié est la fillette qui me prend pour une chose. À ce moment-là, elle est rendue à l’arrière de l’autobus, debout sur une banquette. 


Oui c’est Julia ! Répète la sœurette. C’est toujours elle qui tape les autres.


OK. Julia n’a pas de préférence. Elle tape ici et là au gré de ses humeurs.


Les élèves achèvent d’entrer et plusieurs s'agglutinent autour de moi curieux de savoir qui je suis et où est passé Stéphanie? Je tente de répondre à leurs questions mais reste attentif au comportement de Julia qui soutient mon regard. C’est qu’elle a du caractère cette petite ! Elle ira loin !  Pour l’instant, c’est clair qu’elle me cherche et teste mes limites. Même si c’est parfois à mes dépends, en tant que chauffeur substitut, je ne joue pas au boss de bécosse. Malgré quelques invectives ici et là : Restez assis ! On baisse le ton s’il vous plaît ! ce genre de trucs, je ne me mêle à peine de discipline. Qui sait ce que ce sera lorsque j’aurai un circuit régulier. C’est sûr que la dynamique sera différente, on verra.


Julia n’est pas restée longtemps à bord. Elle est descendue lors des premiers arrêts. Lorsqu’elle est passée à côté de moi, je l’ai saluée poliment et lui souhaitant une bonne fin de journée. Comme elle n’avait aucune réaction, j’ai ajouté avec ironie que j’avais déjà hâte de la revoir. Lorsque la gamine a traversé la rue devant l’autobus elle s’est tournée vers moi et toujours avec son regard bravache, elle m’a sortie la langue ! Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire car voyez vous cette petite démone de Julia m’a rappelé un autre petit tannant qui en a fait baver à ses professeurs et sans aucun doute à ses chauffeurs. Devinez qui ?


Oui j’étais ce genre de peste au même âge. Certaines mauvaises langues diront que je n'ai pas beaucoup changé. Ne les écoutez surtout pas !  Dieu que j’en ai fait des mauvais coups. J’pense que j’aurai été du genre à me faire prescrire du Ritalin juste en me regardant. Mais bon, pas mal d’autobus ont roulé sur les ponts où l’eau coule dessous. Je vous fais grâce des multiples conneries que j’ai faites à cet âge là. De toute façon, j’en ai oublié la plupart. Comme je ne garde aucun souvenir des chauffeurs d’autobus scolaire qui m’ont enduré lors de ces années estudiantines. Ça fait quand même un sacré bail, mais aujourd’hui, je trouve ça un peu triste de ne pas me remémorer ces monsieurs/dames qui m’ont conduit malgré mes inconduites. Ils ne doivent certainement plus être de ce monde, mais malgré tout, je les salue bien bas.


Sortir du bois

                 Les dernières semaines ont été bien remplies. Notre potager et notre petite forêt nourricière nous ont tenu ma blonde et mo...